Jean-Luc Burger - Art et Vodun au Bénin - Meet Art Concept

 Des rituels à voir comme des oeuvres d'art. La mise en scène du rituel, autrement dit la manière de le réaliser, est ce qui en fait une œuvre et éventuellement une œuvre d'art. 

L'homme a créé l'art avant d'en parler. Pour expliquer cette création essentielle et irréductible à toute autre, il s'est un jour posé la question : « Qu'est-ce que l'art ? »

L'art ne serait-il pas le propre de l'être humain parce qu'il est l'acte de liberté par excellence ? Il exprime notamment la diversité culturelle qui est une richesse considérable, une ressource inhérente au genre humain. L'art est notre propre reflet et vise à montrer, dans la nature même et dans l'esprit, hors de nous et en nous, des choses qui ne frappent pas nos sens et notre conscience.

 

La notion d'invisible n'est-elle pas universelle ? En Occident, le peintre Paul Klee dit : « L'art ne reproduit pas le visible, il le rend visible . » L'invisible est la face cachée du visible. Selon les familiers du vodun, il représente le secret, le caché ou l'invisible. Il est à ce titre un art de vivre et une religion de savoir et d'initiation.

Deux mondes coexistent. Cependant, leurs frontières ne sont pas inviolables, puisque les dieux et les esprits interviennent dans la vie des hommes, et certains humains particulièrement puissants attirent les forces du monde spirituel. Les frontières entre le monde visible et invisible (rites autour de la naissance, funérailles, culte des ancêtres et des divinités) sont particulièrement bien protégées, tout comme celles qui séparent le monde des hommes et la nature (rites de fondation, rites agricoles, rite propitiatoire etc.)

 

                 La séance de divination du bokonon

 

Dans le domaine de l'art, la divination comme le génie de l'artiste peut exprimer la communicabilité entre les deux mondes visible et invisible, en lui donnant une certaine transparence. De forme circulaire ou rectangulaire, le plateau de divination des bokonon fon, est proche de celui qui est manipulé par le babalawo yoruba. Le visage d' Eshu devait Legba chez les Fon, apparaît toujours au sommet, face au devin en exercice. Dans l'iconographie des plateaux d'ifa, l'ordre et le désordre du monde entremêlés, prend une forme sculpturale. Le dessin fragmentaire et excentré qui associe des éléments figuratifs et abstraits dans un agrégat discontinu, sans rapport évident, fait allusion à l'autonomie des forces.

Le rite divinatoire Ifa permet d'avoir recours aux oracles aussi bien à un niveau individuel que collectif. On consulte Ifa pour obtenir la révélation du signe qui domine et dirige la vie ; mais aussi en toute circonstance où il peut éclairer une décision à prendre ou restituer un message pouvant être exprimé par l'art ou tout autre moyen.

 

Les objets d'art qui nous ont créés de l'histoire nous transmettent le monde des émotions des hommes qui les ont créés. A partir de la matière à qui l'on donne des formes, l'art a été l'écriture, le langage. Mais il n'y a pas que le temps qui sépare les hommes, l'espace les rend aussi étrangers les uns aux autres. L'art est sans aucun doute, le meilleur instrument de dialogue et la mémoire du temps.

On a souvent écrit sur l'art au Bénin comme s'il était figé et immuable, alors qu'en fait il n'a cessé d'évoluer, plus ou moins rapidement selon les époques et les régions. Le Bénin fascine par la qualité de son art de cour, réputé pour ses bronzes et sculptures. Son art, avant que ne soit découvert celui d'Ife dont il dérive, est apparu comme l'un des plus remarquables de toute l'Afrique. C'était avant tout un art royal. Les objets de bronze – en fait, d'un alliage plus proche du laiton que du bronze statuettes, têtes stylisées, bas-reliefs, en particulier, représentant des scènes historiques, tous fondus à cire perdue, étaient réservés à l'usage du roi . Le roi était le maître de la terre, des êtres et des choses. Il était le principal commanditaire des œuvres produites.

A Abomey, les images visibles dans la sculpture sur bois ou en métal, dans les tissages, les parures, les armes et les fresques interagissaient avec la danse, le chant, la parole xo, tous trois mis au service des dieux royaux . Un même principe pourrait-il unir le matériel à l'humain, l'image au verbe, tous deux constituants de l'histoire orale ? En serait-il ainsi, autour des mêmes objets, en dehors de leur contexte d'origine ? [1]

 

L'art à la cour d'Abomey

Le roi comme dans d'autres pays africains est un être sacré. Des énergies cosmiques siègent dans sa personne, souvent d'origine divine, dans la mesure où les généalogies dynastiques remontent fréquemment à un fondateur divin. Il est le garant du bien-être du royaume et de ses sujets et de l'équilibre du monde. Le roi octroyait les moyens nécessaires au confort des grandes familles d'artistes de cour. Il leur assurait un logement, des terres cultivables, de la main d'œuvre, des épouses et des présents réguliers en guise de revenus. En contrepartie, l'objet réalisé par l'artiste et, pour être efficace, devait provoquer une émotion dans son exposition privée, à la cour et lors des cérémonies. Les enfants étaient désignés ouvertement comme enfants du roi, à l'exception de Yémadjé considéré comme épouse du roi,et Hountondji frère du roi, ahononvi. A Abomey, la personne royale est essentielle, mais c'est l'artiste qui assure le lien entre toutes les populations qui constituent le royaume.

Dans les ateliers travaillaient des artistes d'origine fon, mahi, bariba, haoussa et nago-yoruba. Ces derniers, dont le représentant de la première génération était généralement prisonnier de guerre, sculptaient surtout le bois, parfois l'ivoire, et excellaient dans l'art du perlage. Les sculpteurs nago réalisaient les piliers palatiaux ainsi que les instruments divinatoires du Fa. [2]

 

Les souverains du Danhome (aujourd'hui le Bénin) ont vite perçu l'intérêt que présentait l'art dans l'affirmation de la grandeur de leur royaume. Ils placèrent le génie artistique au-dessus de toute autre considération et mirent ainsi à leurs services des artistes de grande renommée, indépendamment de leurs origines sociales et géographiques. Le titre d'artiste de cour n'était donc attribué qu'à ceux qui pouvaient justifier d'une expérience avérée et de l'excellente maîtrise de leur art. [3]

D'après les légendes, Houégbadja introduisit le tissage, après avoir conquis un village dont les habitants enterraient leurs morts dans des couvertures [4] . Sous Glèlè, le chef des tailleurs Yémaddjé avait un atelier de 130 brodeurs et apprentis. C'est le roi Agonglo qui aurait eu l'idée de faire découper les motifs et de les appliquer. Sous son règne, se développe le tissage. Les tenturiers étaient aussi les géographes du roi. Ils étaient envoyés avant les guerres et les attaques dans la région « ennemie » pour élaborer des cartes de campagne.

Les velours, les satins et les tissus de coton, importés depuis l'époque d'Agadja et n'étaient pas faits les parasols qui frappèrent l'attention des voyageurs, avaient de multiples fonctions : grandes tentes montées lors des fêtes annuelles devant le passage dépendant les cours extérieures et intérieures du palais, hamacs, qui comme les parasols et les sandales du roi devaient être ensevelis avec le souverain défunt.

Durant l'existence du royaume de Danhome, les artistes locaux ont produit d'innombrables œuvres représentant des scènes de la vie sous forme de reliefs d'argile, statuettes, tapisseries, vêtements, fresques et peintures appliquées. Parmi les traditions artistiques, les arts du royaume sont facilement identifiables par leur style particulier même s'ils empruntent fortement aux autres peuples de la région.

La poterie et les calebasses grattées ont été largement développées au temps du roi Akaba. Outre la production de canaris liés aux usages domestiques et culinaires, elle était très utilisée pour la fabrication d'objets cérémoniels, et notamment de réceptacles pour les offrandes. La poterie cultuelle canalisait des énergies invisibles, était associée au secret et à la grande discrétion des temples qui sont sous le contrôle des chefs de culte et de la reine mère.

 

L'art et le pouvoir des perles

Les perles sont importantes pour les rois, les devins et les prêtres. Elles renforcent les pouvoirs spirituels et permettent de communiquer avec les dieux et les ancêtres. En pays yoruba, une enfilade de perles dites ilèkè otutu okpun au poignet gauche du babalawo, devin d'Ifa – constitue l'insigne de ses pouvoirs occultes et le distingue quelque peu du commun des mortels qui n'est pas autorisé à en porter. Dan-Ahido-Houèdo est symbolisé par l'arc-en-ciel le Serpent, comme la divinité et des perles et des cauris, comme l'une des divinités de la richesse.

 

 

 

                 

Yusuf Absorba (Abomey, Bénin). Terre cuite peinte polychrome. 1er tiers du XXème siècle. Haut : 26 cm. D'après le carnet de nomenclature : « Le roi d'Abeokuta (capitale des Yorouba à la frontière du Dahomey et du Nigéria). Le roi a le haut de son visage couvert par une sorte de bandeau fait avec des perles. Aucun de ses sujets n'a le droit de voir ses yeux ».                  

 

Les perles sont aussi au cœur du vodun. Elles y jouent un rôle prépondérant. En effet, dans les cérémonies traditionnelles, les perles sont utilisées pour la sortie des adeptes qui ont suivi une initiation au couvent. Par ailleurs, les perles portées par les dignitaires ne sont pas la seule source de pouvoir. Quand un roi porte son costume lourdement brodé de perles, il ne tremble ni ne bouge, mais reste immobile et hiératique. Aussitôt qu'il s'asseoit (sur le trône), il n'est pas un être humain, mais un dieu.

La perle aurait-elle traversé les âges depuis la nuit des temps ? En Egypte ancienne, le peuple considérait que les perles étaient les larmes des dieux, En Inde, le Dieu Krishna aurait découvert la première perle ! Les Arabes appréciaient les perles, elles sont même décrites dans le Coran comme l'un des plus grands trésors fournis par le Paradis.

 

En pays yoruba, une enfilade de perles dites ilèkè otutu okpun au poignet gauche du babalawo constitue l'insigne de ses pouvoirs occultes et le distingue quelque peu du commun des mortels qui n'est pas autorisé à en porter. La notion de richesse incarnée par les perles a également une autre dimension symbolique qui n'est pas toujours ni nécessairement fonction de leur quantité : appelée dada. Le roi du Danhome dans ses louanges est initialement désigné, entre autres, par le nom jêhosu , c'est-à-dire le roi des perles ,non pas nécessairement à cause de l'abondance de perles précieuses contenues dans ses coffres, mais parce qu'il était plus riche dans son royaume : abondance de cauris, de tissus, de métaux précieux, de verroteries, de biens meubles, etc. [ 5]

 

Les artistes de la cour d'Abomey

Une des familles d'artistes qui s'est rendue célèbre auprès des rois du Dahomey est la famille Hountondji. Liés à la famille royale depuis leur départ à Tado, les Hountondji sont interprétés comme les frères du roi. La famille Assogbakpe installée dans le quartier Hountondji comme forgeron travaillait le fer forgé pour la production des asen . Une autre famille, la famille Akati est celle du forgeron qui s'est distinguée notamment pour la fabrication de Gou, le dieu du fer. Les artistes de cour, à Abomey, ont mis en exergue la suprématie des rois du Danhome, soucieux de l'application de la première loi du fondateur du royaume. La sculpture est dédiée à Gou, le dieu vodoun de la guerre, de la forge et du fer, connu sous le nom de Ogun chez les Yoruba. Elle a été commandée à l'artiste pour célébrer la mémoire du roi Glèlè [6] .

 

                   

                            Bas-relief. Palais Glèlè à Abomey

 

D'une présence effrayante, l'effigie de Gou coulée dans le métal arborait, à l'origine, un chapeau et une cape qui masquait sa nudité.

Une des plus belles productions artistiques des peuples de la côte occidentale d'Afrique est sans aucun doute les bas–reliefs ornant les bâtiments des anciens Palais d'Abomey l'ancienne résidence royale à Abomey.

Chaque roi a édifié un palais pour marquer l'unicité de la personne royale comme point central de l'univers, une résultat de forces convergentes où la signification des lieux à avoir les savoirs endogènes, les technologies traditionnelles liées à l'artisanat et à la construction des bas-reliefs, l'ancrage identitaire et l'intronisation des chefs de lignée complètent l'importance du bâti. Ainsi, la dimension immatérielle, à la fois sacrée et politique apparaît comme fondamentale pour une bonne compréhension des palais car elle constitue la substance essentielle du site [7] .

Les bas-reliefs, reproduisent souvent les noms et les devis des rois et parfois l'image de leurs grands dieux : dieu du tonnerre, le dieu serpent. Parmi les motifs, plusieurs symbolisent le pouvoir : le léopard évoque l'origine de la dynastie royale et le courage du roi Guézo ; l'oiseau calao et le lion, symboles de l'intrépidité et de la puissance incomparable de Glèlè, le caméléon (qui marche lentement mais atteint le sommet du fromager), surnom du roi Akaba dont la succession au trône de son père fut longue ; l'ananas qui rappelle le roi Agonglo épargné un jour par la foudre (tel l'ananas contre qui elle ne peut rien [8] ).

Les thèmes évoqués concernent essentiellement les noms forts des rois, les scènes de bravoure et de victoire, les défis relevés, les armes dans le royaume (les sabres, les casse-tête, etc.). Ces différents thèmes, qui évoquent les informations que contiennent les motifs, font des bas-reliefs une forme d'écriture originale à partir de laquelle l'histoire du royaume fixée sur les murs, peut être contée depuis la fondation du royaume jusqu'à la conquête coloniale.

La fonction du roi ne consistait pas seulement à garantir l'ordre social et politique, mais aussi et surtout à maintenir l'ordre cosmique. Sur bien des aspects, l'espace du roi est un espace de réclusion, et le palais protège peut-être plus celui qui se trouve à l'extérieur que celui qui se trouve à l'intérieur : le centre du pouvoir, c'est aussi le lieu qui le contient.

Espace protégé, marqué par la densité des interdits : le siège sur lequel s'assoit le roi, les sandales qu'il portent l'isolent du sol, tandis qu'un parasol l'isole de l'espace supérieur, car le roi ne peut souiller la terre nue ou se mouvoir librement sans risquer de libérer une force incontrôlable et dévastatrice [9] .

    

      Couple royal - Euloge Glélé, artiste

        Le couvre-chef, la récade, le port des sandales

 

Chaque objet est significatif. L'exaltation de la personne royale, sous le vocable de « regalia » désignait tous les objets précieux destinés à glorifier les souverains et les dignitaires de la cour d'Abomey. Sièges et trônes, cannes et récades (insigne royal ou bâton diplomatique en forme de houe), parures, instruments de musique, parasols, sandales, bonnets et éventails.

L'œuvre d'art assume le rôle de point d'ancrage d'un pouvoir et source d'un savoir. Elle nous ouvre le monde, le rend pensable, à partir de la représentation de scènes :

La représentation de scènes, c'est-à-dire de « lieu où se passe une action » mettant en jeu un ou plusieurs personnages et traduite par des plastiques déterminants en eux un même espace, est relativement rare en Afrique subsaharienne, sauf dans l'aire culturelle de l'art des plaques du Bénin et également dans les bas-reliefs d'Abomey. [dix]

Hélène Joubert dans son article Oyo et Abomey : du temps du mythe au temps du commerce et la guerre nous livre un aspect de la relation entre Oyo et Abomey visible dans les bas-reliefs [11] :

De nombreux bas-reliefs des palais d'Abomey rappellent les relations conflictuelles entre les Fon et les Yoruba : scène de combat où l'on voit un guerrier danhoméen tirant à bout portant sur un ennemi yoruba armé d'un arc au palais de Glélé, ou encore puissante amazone emportante sur l'épaule d'un prisonnier yoruba, au palais de Guézo. On peut citer l'anecdote de l'amazone méprisante qui s'assit pour fumer sa pipe, défiant les Yoruba d'Abéokuta au XIXe siècle, alors que les balles des défenseurs sifflaient à ses oreilles, finissant par l'atteindre : sa tête fut portée à travers la ville au cri de « Regardez donc soldats, ce sont des femmes qui luttent contre nous !

L'idéologie de la guerre fut un caractère commun aussi bien au royaume d'Abomey qu'au royaume d'Oyo. Ogun, orisha yoruba du fer et de la guerre, trouve sa contrepartie dans le panthéon fon avec Gou, troisième du rang dans une hiérarchie divine dominée par Mawu et Lisa. La figure du forgeron est souvent marquée d'une ambiguïté essentielle. Sa capacité à maîtriser le feu et les métaux, et par là les instruments de la production et de la guerre, en fait le détenteur d'un pouvoir supérieur et l'élément de médiation entre le monde des profondeurs, le ciel et le monde des hommes.

 

Des rituels à voir comme des œuvres d'art

La mise en scène du rituel, autrement dit la manière de le réaliser, est ce qui en fait une œuvre et éventuellement une œuvre d'art. Il est difficile d'établir une liste des divinités vodoun. Celles-ci sont multiples, les noms peuvent changer et chaque temple en privilégie certaines. Elles peuvent représenter des éléments clés de l'univers : Heviosso, le feu, Ayidohwedo, l'air, Dan, l'eau, Sakpata, la terre. Certains vodoun ont pour origine les éléments de la nature, d'autres sont assimilés à certains animaux et d'autres enfin, à des ancêtres.

Chaque divinité à un ou plusieurs jours de la semaine qui lui sont attribués. Les couleurs sont aussi importantes pour le vodoun :

. Mami Wata, le blanc et le bleu

. Gou, le violet, mais aussi le vert et le noir. Dans chaque sanctuaire, Gou est toujours le premier, il ouvre le chemin

. Heviosso, vodun de la foudre et du tonnerre : le rouge et le blanc

. Sakpata : rouge, avec des taches blanches ou noires

. Dan, divinité matérialisée par le serpent et symbole de la continuité de la vie est souvent représentée par les couleurs de l'arc en ciel. Il accompagne Loko, vodun de l'arbre sacré Iroko, Les arbres qui jouent un rôle central dans la vie, abritent des entités spirituelles et incarnent l'élan vital de l'univers.

. Legba : nombreuses couleurs (parce qu'il est messager de toutes les autres divinités).

 

Le nombre des couleurs et des formes est infini. Que dire de leurs combinaisons et de leurs effets ? Une telle matière est inépuisable. Pour les artistes qui créent des œuvres pertinentes du vodun, les matières premières sont des enjeux de l'environnement naturel. En Afrique de l'ouest, par exemple, chaque localité est susceptible d'avoir une technique différente. Agônan Tidjani, (décédé en 2006), sculpteur à Daagbé au Bénin, un par exemple expliqué [12]

Pour préparer une couleur, il faut la broyer dans un peu d'eau, tamiser la solution et jeter les grains qui ne sont pas passés. Laisser décanter le jus une journée, puis vider un peu d'eau et peindre avec ce qui reste au fond du canari ou de la calebasse. Il s'agit donc de la récupération des principes colorants d'une plante, l'ajout d'un mordant restant possible.

Cependant, l'utilisation de couleurs non traditionnelles sur un objet, rendue possible par l'introduction de colorants d'origines occidentales, est révélatrice de l'évolution de la société. Les noms locaux yoruba/nago rapportés aux plantes font référence pour la plupart à l'usage médicinal des propriétés de la plante.

 

La danse ouvre à la communication avec les dieux. 

 

Dans le culte Egungun, les couleurs représentent la diversité des divinités. Les danses, chants et tambours sont associés à la notion de divinité. Les danses, sous les rythmes de tambours en bois ou en poterie, revêtent plusieurs formes : amples mouvements de bras et de jambes chez certains vodounsi, dansant en file circulaire, tandis que d'autres évoluent en escadron ou en solistes.

Avec en prime, des mouvements d'épaules d'avant en arrière, de même que les bras, tendus ou pliés, et les mains tantôt ouvertes, doigts écartés, parfois serrés, poings fermés, dans une cadence mesurée, sans frénésie. Des pas de danse, mais aussi tout un gestuel des épaules ; des postures chargées de symboles que seuls les initiés peuvent déchiffrer. Les meilleurs danseurs sont ceux dont les pas suivent parfaitement les rythmes des tambours. Les plus grands tambours vont par paire et sont accompagnés d'un à trois tambours plus petits, les uns mâles, les autres femelles.

Les asen sont fabriqués dans de nombreux ateliers de forgerons dans le sud du Bénin. La coutume est d'offrir et de recevoir de l'eau et de la nourriture à chaque visite. De la même manière, le défunt est considéré comme un hôte privilégié. Selon la coutume, la force vitale se perpétue ainsi à travers la descendance et le culte des ancêtres vise à raffermir toujours plus cette force. L'asen est un autel portatif en métal (fer forgé, ou en laiton ou argent), monté sur une tige qui se plante en terre là où se tient la cérémonie. La production d'asen provient d'une tradition d'honorer les morts qui, selon toute probabilité, est antérieure à l'existence du Royaume du Danhome. La production d'asen aux plateaux décorés date du milieu du XIX° siècle.

 

       

                                                                                     Un asen – Abomey (Bénin)

 

 

Le masque [13] sculpté (objet cultuel en Afrique et objet d'art en Occident) est uni à une force impalpable, nous donne la signification du symbole. Il possède un pouvoir surnaturel qui intervient ; il bouge, parle, impose son rythme, ses rites et fait bouger une communauté qui va se rassembler pour vivre un grand moment d'exaltation. Paul Ahyi, initié à la cour d'Abomey, désignant le drapeau togolais, a su montrer le pouvoir de ses ancêtres qu'il a rejoint récemment. L'artiste a dessiné une maison sculptée, vivante qui, sous ses airs modernes, révèle la tradition des dieux et des ancêtres d'Afrique.

La plupart des masques sont conçus pour accompagner des funérailles. Celui qu'ornent un caméléon et un serpent sert à implorer l'aide des dieux contre les calamités : le serpent, animal véloce et silencieux, peut faire du mal, mais le caméléon peut lui interdire d'avancer en lui crachant dans les yeux. Le masque Egungun « morts revenants » porte un costume coloré et une coiffee sculptée dont les traits évoquent un visage très stylisé afin de signifier la présence de l'âme d'un ancêtre défunt revenant de l'au-delà pour communiquer avec ses descendants vivants.

Au cours des cérémonies, les multiples couches de panneaux appliqués des tenues gonflent et s’évasent comme des plumes produisant des couleurs supplémentaires contrastées en créant ce que les Yoruba appellent iran, un spectacle total dont les implications sont à la fois esthétiques et psychologiques[14].

Autre cérémonie, à travers les rituels de processions d’adeptes des divinités, la transe se manifeste souvent de manière soudaine. A l’improviste et au contact de la musique, l’individu tombe en extase. Le vodoun monte sur la tête de l’adepte, mais l’entrée en transe (avec ou sans crise) et la transe elle-même revêtent, suivant le vodun concerné, les formes les plus différentes et la transe La transe favorise l’abolition des distances et favorise le rapprochement entre les hommes et les dieux. Le parcours du rapprochement implique un aller et un retour et prend parfois la forme d’un déplacement dans l’espace. L’importance fondamentale du mouvement, de l’exhibition spectaculaire et dramatique, où les frontières du rituel et de la théâtralité se confondent.

  1. Le novice n’est plus, dans sa personne, ce qu’il était auparavant, et pas encore ce qu’il est appelé à devenir[15].

 

Entre tradition et modernité

Des artistes imprégnés du vodun, mélangent tradition et modernité, utilisent la terre rouge d’Abomey, du kaolin et des pigments extraits des feuilles, des fleurs et des écorces des arbres souvent utilisés en médecine traditionnelle pour peindre des tableaux.

Aujourd’hui, ils sont nombreux et leur talent est incontestable. Des créateurs contemporains s’inspirent directement de traditions artistiques yoruba et fon. Les plus connus ont exposé à travers le monde, le peintre et sculpteur Cyprien Tokoudagba, le peintre Romuald Hazoumé s’inspire du Fa et crée des masques de « junk art », Ives Appolinaire Pèdé, Dominique Zinkpé et d’autres artistes. En 1989, à Paris, au Centre Georges Pompidou, « Les Magiciens de la Terre » a été la première exposition internationale, présentant des artistes, de différentes cultures, des cinq continents, sans ordre hiérarchique ni géographique, en laissant les œuvres parler d’elles-mêmes. Les œuvres de Cyprien Tokoudagba, Amidou Dossou étaient exposées. comme les guides et les gardiens qui possèdent les clés permettant l’accès à un monde de figures mythologiques de signes initiatiques de symboles poétiques où foisonnent dieux, déesses et reines issus de temps immémoriaux.

 

A propos du vodun, Cyprien Tokoudagba est d’une discrétion exemplaire. Il peut révéler qu’il est initié, guère plus. Il va jusqu’à dire : « C’est très secret. On ne peut pas en parler comme ça ». A la limite, il parle de ce qui est de notoriété publique, de Heviosso, le tonnerre et la foudre, de Sakpata, dieu de la terre et de la variole, du python Dangbe qui permet de trouver les points d’eau et qui devient Dan Aidohouedo, lorsqu’il est figuré formant un rond se mordant la queue, en forme d’arc-en-ciel symbolisant la continuité, l’éternel retour[16].

En utilisant des déchets et rebuts dans les œuvres de Aston, une nouvelle vague d’artistes a traité des thématiques variées allant des Legba de Edwige Aplogan aux sculptures en argile de Euloge Glèlè, et des peintures de Ludovic Fadairo, Julien Zinzogan, Pie Gbaguidi …

Les artistes d’aujourd’hui sont d’abord et avant tout des créateurs. Comme ceux d’hier, ils cultivent l’amour des œuvres de l’esprit. Leur ambition n’est pas différente de ceux qui les ont précédés et dont l’histoire de l’art s’est écrite au fil du temps.

 

Florent Couao-Zotti, écrivain béninois, souligne quelques aspects du rapport entre l’artiste et son œuvre :

Le peintre, à l’instar du sculpteur, est dans les mêmes dispositions. Dans l’aventure de la création, il subit les mêmes anxiétés, traverse les mêmes souffrances, vit les mêmes éblouissements. Aux burins, grattoirs, robots et autres biseaux, il oppose ses pinceaux et ses couteaux. Des pinceaux, qui, au contact de la toile, tracent des esquisses, suggèrent des formes, créent des atmosphères. A son regard satisfait des premiers jets, il enchaîne avec les couleurs.                                                                                                                  La véritable vocation de l’artiste est la transmission. Il met son œuvre au service de la génération suivante, pour qu'elle n'oublie pas ses racines, ses ancêtres, son histoire. Ses œuvres sont le fruit de recherches incessantes, dans les palais et couvents d'Abomey ; chaque représentation de Dieux ou de Rois vient enrichir l'héritage qu'il conserve et souhaite léguer à la jeunesse.                                                                         

La terre pourrait se substituer à la signature de l’artiste, prétendre de la sorte à rappeler son appartenance au milieu dans lequel les œuvres prennent naissance. Le riche terroir de l’artiste est la tradition, les valeurs culturelles, qu’il transcrit pour les préserver ou pour s’en affranchir, remous entre l’attrait et la peur de la modernité d’une société en transition. Il observe la société et en fait des créations. La répétition n’est pas une simple confirmation de ce qui a été dit, mais l’instrument du changement, du renouvellement. Le fait que l’artiste puisse produire pour les galeries du monde entier ne l’empêche pas de continuer à créer des objets cérémoniels destiné à un usage local : les deux niveaux se superposent plutôt qu’ils ne s’excluent[17].

Au Bénin, comme partout ailleurs, les domaines attribués de l’art et du religieux ne sont pas cloisonnés. Il est plus important encore de voir à quel point les solutions esthétiques du vodoun continuent d’inspirer la création contemporaine. L’audace de l’artiste l’amène à procéder par association entre le signifiant et le signifié. 

 

             

                     Aziza - Cyprien Tokoudagba

 

Aziza, divinité vodun de la création représentée par un personnage à tête d’arbre, symbolise l’inspiration des nombreux artistes qui se reconnaissent aujourd’hui dans les valeurs positives du vodoun : respect des forces de la nature, respect des êtres vivants et de leur environnement, respect de l’homme et des ancêtres.

L’artiste puise sa force, son élan créateur dans la terre, dans ses racines. Son art puise directement aux sources du vodoun et son imaginaire dont l’empreinte est très présente dans ses œuvres. Il trouve son émotion entre l'art et le vodoun et parviens peu à peu où, grâce aux moyens qui lui appartiennent en propre, il devient capable d'exprimer ce qu'l est seul qualifié à dire.

 

 

[1] Gaelle Beaujean. L’art de cour d’Abomey, le sens des objets. Editions Les presses du réel – Œuvres en sociétés. 2019, p éé

[2] Musée du quai Branly. Dieux, rois et peuples du Bénin. Editions Somogy. 2008 ;

[3] Art contemporain du Bénin. Art du Bénin d’hier et d’aujourd’hui de la restitution à la révélation. Editions Hermann. 2022, p 9

[4] Ivan Bargna. Arts et sagesses d’Afrique Noire. Editions Zodiaque. 1998, p 28 . Le tissu qui accompagne les morts dans le voyage vers le monde des ancêtres est à la fois parement, bagage et suaire : le mort qui en est enveloppé, comme un fœtus dans la matrice, se ressource à la chaîne des vivants et, puisque tisser, c’est labourer, il va pouvoir se régénérer avec les fruits du champ cultivé qui l’enveloppe.

[5] Félix Iroko. Les perles au-delà du décoratif dans le golfe du Bénin à travers les âges. Université Libre de Bruxelles. 1993

[6] Maureen Murphy, « Du champ de bataille au musée : les tribulations d’une sculpture fon », dans Histoire de l'art et anthropologie, Paris, coédition INHA / musée du quai Branly (« Les actes »), 2009.

[7] Direction du Patrimoine Culturel. Site des palais royaux d’Abomey. Avril 2007

[8] En réalité, l’ananas était protégé par le rônier. Cet arbre est une sorte de palmiers natifs d’Afrique subsaharienne. Dans la dynastie du Danhome, il fait partie des symboles qui représentent le roi Agonglo. Sa devise: « so je dé b’agò glo » signifie « la foudre tombe sur le palmier mais le rônier, malgré sa grande taille, y échappe. » Le rônier ou borasse, Borassus, est un genre de palmiers qui comprend neuf espèces natives des régions tropicales d'Afrique sahélienne, le Burkina Faso, l'Éthiopie, le Mali, le Niger, le Nigeria, le Togo, le Sénégal..., au sud jusqu'à la savane guinéenne de Côte d'Ivoire (station écologique de Lamto); répandu également ...

[9] Evan Bargnaa. Arts et sagesses d’Afrique Noire. Editions Zodiaque. 1998 ; p 31

[10] Marlène-Michèle Biton. L’Art des bas-reliefs d’Abomey. Editions L’Harmattan. 2000 ;

[11] Musée du quai Branly. Dieux, rois et peuples du Bénin. Editions Somogy. 2008 ; p 76

[12] Louis Fagbohoun , Cathy Vieillescazes , Carole Mathe et Camille Romeggio. Couleurs et plantes colorantes dans l'art yoruba. Enquête de terrain. 2019

[13] Dictionnaire des Civilisations africaines : « Le sculpteur de masque africain n’essaie pas d’imiter un visage humain ou une tête mais de façonner la partie la plus expressive d’une force plus puissante que celle des hommes» « Les masques sont faits pour être en mouvement, en des cérémonies collectives où la musique rythme la danse… »

[14] Babatunde Lawal. Yorouba. Editions 5 Continents. 2012 ; p 63

[15] Gilbert Rouget. Bénin, vaudou initiatique. Éditions Sépia. 2001, page 97

[16] Centre d'Art contemporain commune du Château de Tanlay (Yonne). Les diables et les dieux. 2015

[17] J. Vansina. L'art africain dans l'histoire. Éditions Longman. New York. 1990 ; pages 57-91

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