La femme dans la diversité culturelle

LA FEMME DANS LA DIVERSITE CULTURELLE

 

La relation entre les sexes est certainement l’une des préoccupations majeures de l’être humain, au cœur des interrogations philosophiques, spirituelles, psychologiques et sociales. Elle incarne un domaine de réflexion à la fois fondamental et déroutant. D’une part, cette relation est fondée sur une réalité biologique incontournable ; d’autre part, elle est traversée de mythes, de représentations, de constructions culturelles qui en rendent l’analyse extrêmement complexe. Depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours, penseurs et écrivains n’ont cessé de tenter de cerner cette relation, d’en capter l’essence, d’en dévoiler les lois. Mais ce qu’ils ont souvent découvert, ce sont les contradictions internes de leur propre pensée. Car la vérité, en ce domaine plus qu’en tout autre, est fuyante, paradoxale, et souvent insaisissable.

 

Les voix oubliées de la moitié du monde

Pendant des siècles, l’histoire a été écrite à une voix – celle des vainqueurs, des puissants, et bien souvent, des hommes. Dans ce grand récit souvent linéaire et conquérant, la femme n’apparaît qu’en filigrane, reléguée aux marges, cantonnée à des rôles secondaires ou symboliques. Pourtant, la moitié du monde est faite de femmes. Et leurs voix, leurs combats, leurs savoirs, leurs puissances, trop souvent étouffés ou oubliés, constituent une mémoire vivante et un potentiel de transformation immense pour l’humanité.

À travers les traditions culturelles, les mythes, les récits rituels, les luttes sociales et les formes artistiques, les femmes ont toujours été présentes, parfois en silence, souvent dans l’ombre, mais toujours actrices.

 

La femme : mystère originel et puissance vitale

Au cœur de cette relation complexe, la femme occupe une place singulière. Elle est celle par qui la vie entre dans le monde. Dès les origines, elle est perçue comme le réceptacle sacré de la fécondité, de la croissance et du renouvellement. Ses figures symboliques, dans les cultures anciennes, évoquent une intimité profonde avec la nature et les rythmes cosmiques. De la Vénus callipyge des premiers âges à la Déesse-Mère vénérée dans l’Orient ancien, la femme est au centre de mythes puissants qui la lient à la terre nourricière, au cycle des saisons, à l’équilibre du monde.

Cette sacralité féminine n’est cependant pas dénuée d’ambiguïté. Elle fascine autant qu’elle inquiète. La femme est aussi Kali, la déesse hindoue aux multiples bras, destructrice et créatrice ; elle est la Shekhina, présence divine féminine dans le mysticisme juif, mais aussi Lilith, première femme insoumise selon certains textes apocryphes. Elle est tour à tour initiatrice, guérisseuse, amante, mais aussi sorcière ou tentatrice. Cette ambivalence, qui traverse l’histoire des représentations féminines, révèle une réalité essentielle : la femme incarne un pouvoir qui échappe, un pouvoir que l’on admire mais que l’on redoute.

 

 

Une puissance redoutée : entre fascination et contrôle

Historiquement, ce pouvoir féminin a souvent été refoulé, contenu ou diabolisé. Parce qu’il est invisible, insaisissable, et parce qu’il agit sans force brutale, il trouble les structures de pouvoir dominées par les hommes. Il ne se montre pas, il ne s’impose pas dans l’arène publique, mais il transforme en profondeur. Ce pouvoir, souvent confondu avec de la faiblesse, est en réalité un levier subtil d’influence, de résistance et de transformation.

Simone de Beauvoir l’a bien vu : « On ne naît pas femme, on le devient. » Cette phrase célèbre souligne que la condition féminine est une construction culturelle, façonnée par les normes, les interdits, les récits. Mais ce façonnement n’est pas à sens unique. Les femmes, à travers les âges, ont su investir les marges, détourner les rôles assignés, inventer des formes d’action discrètes mais puissantes. Elles ont résisté dans l’ombre, transmis des savoirs, nourri la mémoire collective, soutenu les communautés.

 

 

 

Le pouvoir invisible : résilience, influence et transformation

Ce pouvoir, que l’on pourrait qualifier d’invisible, repose sur trois piliers : la résilience, l’influence douce et la capacité à transformer sans bruit. La résilience permet de survivre à l’oppression, de garder en soi une force intacte malgré les injonctions sociales ou la violence des structures patriarcales. L’influence douce, quant à elle, transforme les individus et les environnements par l’écoute, la persuasion, l’empathie, la créativité. Enfin, la transformation silencieuse s’opère dans le quotidien : élever des enfants, soigner les blessures, apaiser les conflits, tisser des liens – autant d’actes modestes mais essentiels, qui façonnent l’humanité.

Ainsi, loin de se réduire à un rôle secondaire ou passif, la femme incarne une dynamique profonde du vivant. Elle est présence, mémoire, transition. Son pouvoir n’est pas celui qui conquiert, mais celui qui féconde. Non pas celui qui domine, mais celui qui relie. Dans un monde en quête de sens et d’équilibre, ce pouvoir invisible apparaît non plus comme une menace, mais comme une force régénératrice.

 

DIVERSITE CULTURELLE, DISCRIMINATIONS ET RESISTANCES

La diversité culturelle, souvent célébrée comme un patrimoine de l’humanité, est également le miroir de ses contradictions les plus profondes, notamment en matière de genre. Sous ses apparences colorées et enrichissantes, elle reflète une inégale répartition des rôles sociaux, des statuts et des libertés accordées aux femmes. Ces disparités sont d’autant plus visibles que la mondialisation les expose au regard comparatif. Dans certaines sociétés, la femme accède à l'éducation, occupe des postes de pouvoir, contrôle son corps et sa sexualité. Dans d'autres, elle reste sous tutelle légale, voire soumise à des lois religieuses rigides.

La violence faite aux femmes n’est pas un accident culturel, mais bien souvent une conséquence systémique de normes patriarcales enracinées. Elle s’exprime dans le refus d’accès à l’éducation, dans les mariages précoces, les mutilations sexuelles, les violences conjugales, ou encore dans la précarité économique. Ces violences n’épargnent aucun continent. L’Inde, par exemple, enregistre chaque année des milliers de cas de « crimes d’honneur » ou de violences domestiques, tandis qu’en Europe, les féminicides ne cessent d’augmenter malgré des politiques d’égalité.

Mais ce serait une erreur de croire que toutes les cultures sont inégalitaires par essence. Ce sont les systèmes politiques, les interprétations sociales, et les structures de pouvoir qui déterminent la position réelle des femmes. Ce que la diversité culturelle révèle, c’est que la domination masculine n’est pas une fatalité. De nombreuses sociétés traditionnelles, comme certains peuples autochtones d’Amérique latine ou d’Afrique, avaient historiquement mis en place des formes d’équilibre ou de complémentarité des genres, parfois même matrilinéaires ou matriarcales.

 

Entre soumission imposée et puissances oubliées

Les religions ne réservent pas une place identique aux femmes : certaines les confinent à un rôle socialement dévalorisé alors que d’autres prônent l’égalité ou la supériorité des femmes. Au contraire, un point commun important des différents intégrismes, qu’il s’agisse de l’intégrisme catholique, protestant, islamique ou juif, c’est la négation de l’égalité des sexes. A l’échelle de l’humanité, la nécessité de travailler à l’égalité culturelle des hommes et des femmes met également la diversité culturelle au service de la résistance à l’uniformisation et, par-là, de la tolérance et de l’apaisement d’une violence symbolique qui est la matrice de toutes les autres.

La plupart des religions ne seraient-elles pas misogynes ? Des justifications souvent apportées par des textes religieux affirment que la femme est tout d’abord séductrice, tentatrice et qu’il est nécessaire de protéger les hommes – en la couvrant, en la cachant et en la punissant si elle commet une faute. Dans la plupart des textes anciens, la religion de la femme est définie comme «un culte de la fertilité». Ce terme n’est-il pas révélateur des attitudes adoptées face à la sexualité par les différentes religions. Pourtant l'archéologie et l'histoire fournissent des preuves de l'existence d'une divinité féminine, créatrice et ordonnatrice de l'univers, maîtresse de la destinée humaine, inventrice, guérisseuse, chasseresse et combattante courageuse, autant de preuves qui indiqueraient que le terme « culte de la fertilité » ne serait qu'une simplification d'une structure théologique complexe.

Les religions jouent un rôle fondamental dans la construction symbolique de la place des femmes. Dans leur lecture la plus conservatrice, les grandes religions monothéistes ont souvent inscrit la femme dans un registre de soumission et de danger. Ève, tentatrice responsable de la chute, est devenue le prototype de la femme faible et corruptrice. À travers les siècles, ce mythe a servi de justification à la mise sous tutelle des femmes, à leur exclusion du savoir religieux, voire à leur persécution – pensons aux chasses aux sorcières en Europe, où des milliers de femmes guérisseuses ou indépendantes furent brûlées comme suppôt du démon.

Dans l’islam, certaines lectures littérales du Coran sont utilisées pour légitimer la polygamie, la répudiation ou l’obligation de se voiler, alors que d’autres versets insistent sur l’égalité des âmes devant Dieu. Le judaïsme orthodoxe réserve certaines fonctions rituelles aux hommes, tandis que le christianisme a longtemps interdit aux femmes l’accès à la prêtrise. L’enjeu ici n’est pas de condamner les religions en bloc, mais de dénoncer les dérives patriarcales qui, sous couvert de sacré, réduisent la femme à un rôle secondaire.

Pourtant, les premières formes de religion connues sont profondément marquées par le féminin sacré. Les Vénus paléolithiques, les déesses-mères du Néolithique, les figures comme Isis en Égypte, Inanna en Mésopotamie ou Déméter en Grèce témoignent d’un temps où la femme était considérée comme source de vie, de pouvoir cosmique, de savoir spirituel. L’historienne Marija Gimbutas a montré, à travers ses travaux archéologiques, l’existence de cultures centrées sur le culte de la Déesse, où le pouvoir n’était pas basé sur la domination, mais sur le respect de la vie, du cycle et de l’harmonie.

Ces figures ont été progressivement effacées par la montée des sociétés patriarcales, souvent guerrières, où les dieux mâles ont supplanté les déesses, et où le corps féminin est devenu territoire à contrôler. Ainsi, la diversité des représentations du féminin sacré révèle une alternative à la hiérarchisation des sexes imposée par les structures religieuses modernes.

 

Visibles, puissantes et présentes

Aujourd’hui, la question de la place de la femme ne peut plus être posée en termes de domination naturelle ou de traditions immuables. Elle s’inscrit dans une dynamique mondiale de lutte pour l’égalité et la reconnaissance. Les mouvements féministes, qu’ils soient occidentaux, africains, asiatiques ou latino-américains, mettent en lumière les multiples formes d’oppression, mais aussi les multiples résistances. Ils montrent que la diversité culturelle, loin d’être un obstacle, peut être un vivier de forces pour repenser le féminin.

Des femmes prennent la parole dans des sociétés où leur silence était la norme : les militantes kurdes, les jeunes filles afghanes, les activistes noires américaines, les défenseures des droits des femmes en Arabie saoudite ou en Iran. Elles forment un chœur mondial, hétérogène mais uni, pour dire que l’émancipation ne connaît pas de frontière. En ce sens, la reconnaissance de la diversité ne doit pas être prétexte au relativisme culturel, mais un appel à l’universalisation des droits.

L’histoire des hommes reflète parfois des modes de vie et des cultures tellement différents d’un peuple à l’autre que l’on peut se demander si, dans ce cas, ce qui sépare les hommes n’est pas plus important que ce qui les rassemble et les réunit dans une appartenance commune à l’humanité. Ainsi les guerres entre les hommes sont souvent déclenchées ou alimentées par des croyances religieuses différentes. Pourtant, c’est aussi la différence culturelle qui nourrit notre intérêt pour l’autre et donne envie d’aller à sa rencontre.

 

Il ne s’agit pas de faire disparaître les cultures, mais de les faire dialoguer à travers une éthique du respect et de la dignité. La diversité doit devenir le terrain de construction d’un humanisme renouvelé, où chaque femme, quelle que soit sa culture, puisse être reconnue dans son intégrité. L’éducation, l’accès aux ressources, la liberté de choix et la participation politique sont les conditions nécessaires d’une société juste.

En conclusion, la place de la femme dans le monde est le miroir de nos civilisations. Elle révèle nos contradictions, nos violences, mais aussi nos capacités à changer. La diversité culturelle, si elle est abordée avec responsabilité, peut être le moteur d’un monde plus équitable. Il revient à chaque génération de briser les chaînes du passé, de réconcilier les mémoires, et de bâtir un avenir où la femme ne sera plus l’oubliée des traditions, mais la force vive d’une humanité réconciliée.

 

LE POUVOIR DES MERES AU BENIN

La société des masques Gèlèdè joue un rôle important dans la culture yoruba, fondée sur le théâtre, la poésie et la mascarade. Le gelede est pratiqué par la communauté Yoruba-nago établie au Bénin dans les régions de Kétou, de Savé et de Cové, au Nigeria et au Togo. Depuis plus d’un siècle, la cérémonie gelede a pour but de rendre hommage à la mère primordiale, Iyà Nlà, et au rôle que jouent les femmes dans l’organisation sociale et le développement de la société Yoruba.

 

Le culte Gèlèdè, s’affirme comme l’un des témoignages les plus profonds de la reconnaissance du pouvoir féminin dans les civilisations humaines. Par la danse, la musique, la sculpture, la satire et la spiritualité, il rend hommage à une réalité trop souvent oubliée : les femmes, et plus largement le principe féminin, sont les piliers invisibles de l’harmonie cosmique.

À travers la figure des Mères, le Gèlèdè célèbre la fécondité, la transmission, la protection et l’autorité bienveillante. Il rappelle aussi que le féminin n’est pas une puissance faible ou secondaire, mais une énergie ambivalente, à la fois créatrice et redoutable, capable de bénir ou de punir, d’élever ou de renverser. Cette double dimension donne au culte une force singulière : il respecte profondément les femmes sans les idéaliser, en reconnaissant leur rôle dans la société et dans l’équilibre du monde.

La femme est le personnage central du genre oral Gèlèdè à qui la communauté entière adresse des suppliques et des exhortations dans un élan de communion avec les forces qui sustentent tout ce qui existe à travers le rituel soutenu par les chants, les tambours et la danse parce qu'en pays yoruba, chanter, danser, c'est parler à Dieux, c'est faire un avec Iya Nla , c'est prier. Le gelede est alors l'expression culturelle qui met l'art plastique et l'art oratoire au service de la vie grâce à un savant mélange de couleurs, de sons, de mouvements et un sur-codage de la langue dont le masque mâle Efe a le secret.

 

Une légende du gelede

Les mythes expliquant l’origine de la cérémonie sont divers, mais font généralement référence à un ancêtre féminin primordial qui, ne pouvant pas avoir d’enfants, sollicita l’oracle Ifa, qui lui recommanda de pratiquer ce qui deviendra le gelede. Cette proposition fut un succès et se transmit de génération en génération :

« L'une des légendes dit qu'une femme qui connaissait des difficultés à avoir des enfants serait parti voir le grand oracle d'Ifé au Nigeria. Le devin lui aurait demandé de s'orner d'anneaux de métal, de se procurer des statuettes en bois et de se promener dans les coins et recoins de sa maison en dansant. A la suite de ce rituel, elle aurait conçu un enfant qu'elle nomma Efé suivi plus tard d'une autre progéniture qu'elle nomma gèlèdè. Ces derniers, à leur tour, lorsqu'’ils voulurent avoir des enfants, auraient connus le même problème et après avoir consulté leur mère, ils accomplirent le même rituel qui devint ainsi un culte. Certains affirment que le pagne rouge qui aurait servi à habiller les statuettes en bois devint l'habillement des égungun   et l'autre partie constitua l'accoutrement du gelede. Le gelede est fait d'un masque sculpté en bois mais aussi de vêtements et d'autres accessoires. Le masque est sculpté dans du bois blanc léger habillé de divers costumes tous liés à un Orisha. Cette dernière partie est constituée d'étoffes et de grelots en métal entre autres. Cependant, c'est le tout, ajouté aux rythmes, danses, proverbes et panégyriques qui constitue le masque gelede. Le rythme et la danse qui accompagnent le spectacle sont appelés le Bolodjo »

 

Un pouvoir féminin au plus haut niveau

 

Le gelede est exclusivement dirigé, au plus haut niveau, par des femmes, les deux fonctions les plus importantes étant celles d’Iyalashè (détentrice du pouvoir) et d’Iya Egbè (présidente de l’association), toutes deux redoutées.. L’ Iyalashè, dispose d’importants pouvoirs : elle peut intervenir dans d’autres sociétés secrètes et influer sur les décision des autorités traditionnelles en dénonçant les travers des hommes . Des propos rapportés par Pierre Verger[1] : « Ce sont elles, dit-on, qui contrôlent le sang menstruel et la fécondité des femmes. Elles sont prudemment et poliment appelées collectivement awon iya wa « nos mères » ou individuellement iya mi « ma mère », ou encore iya agba « la mère puissante et sage ».

Les participants masculins ne sont que des exécutants. Les hommes disent : « Gèlèdé est le secret des femmes. Nous les hommes sommes seulements leurs esclaves » Cette subordination des hommes se lit à plusieurs niveaux ; les hommes sculptent les masques – la danse gelede est une danse masquée – ils en sont les porteurs pour exécuter les danses bien souvent sous l’apparence d’une femme ; enfin, ce sont les hommes qui forment l’orchestre au niveau des instruments musicaux. 

Le pouvoir mystique des «Mères» tient de l’ambivalence, partagé entre l’àjé rere (le bien)  et l’àjé búrukú  (le mal),

 

Les Ajé initiées au culte du Gèlèdé sont porteuses, dit-on de redoutables pouvoirs : elles tuent dans la nuit, ont le don de télépathie dont celui d’ubiquité, et leur cœur est un oiseau, qui s’envole nuitamment tandis que leur corps demeure profondèment endormi[2]. Elles sont associées aux mystères de la nuit et leurs rituels les plus importants sont nocturnes. La « Grand-mère » l’Yalasché qui préside au culte et aux mascarades, conjugue le thème de la nuit à celui de l’oiseau.

 

 

Masque Gèlèdé – Détruit les obstacles de l’obscurité et éclaire le monde

 

 

Claude Assadba[3] rappelle : « L’image de l’oiseau renvoie à celle du hibou considéré comme l’oiseau par excellence des aje à propos desquels les yoruba utilisent la périphrase : iya el’eye (la mère à l’oiseau). Posséder l’eye - l’oiseau – signifie être aje. L’aje est sensé se métamorphoser en oiseau. Certaines scènes montrent l’oiseau qui dévore le serpent et à cela, on peut en déduire plusieurs significations : la femme détruisant sa propre fécondité – la femme combattant « le phallus », le mordant est semblable à une « guerrière »  aux prises avec le pouvoir des hommes – la femme « corrodant »  la ceinture qui maintient l’unité du cosmos et l’empêche de se désagréger, cherche à perturber l’ordre cosmique, à dissocier les éléments. Elle défie l’objectif du pouvoir politique et le vœu secret de toute vie religieuse : rassembler, solidariser pour donner un sens à la vie ».

 

Batatunde Lawal[4] évoque un des aspects du pouvoir de la femme à partir d’une métaphore yoruba :

« Puisque les serpents qui auraient réussi à avaler une tortue (avec sa carapace) l’ont forcément trouvée difficile à digérer ou ont pu mourir étouffés ou se voir transformés en proie facile pour un chasseur… » Cette métaphore semble dire qu’il s’agit ni plus ni moins d’un avertissement pour convaincre les femmes puissantes à ne pas abuser de leur pouvoir et à se méfier de la justice punitive dont elles pourraient encourir les effets.

 

Dans le même esprit, les hommes ne devraient pas sous-estimer ou maltraiter les femmes et se rappeler que la préservation de l’humanité dépend de cette force mystérieuse vénérée à travers le Gèlèdé :

 

« Témoigne le respect, témoigne le respect envers les femmes                                                 Oui, c’est une femme qui a accouché avant que nous puissions devenir quelqu’un,                Les secrets du monde appartiennent aux femmes                                                                                                                         Témoigne le respect envers les femmes                                                                                    Oui c’est une femme qui a accouché avant que nous puissions devenir quelqu’un »                                                                                                         

 

                                                                             Pierre Verger, 1965 cité par Batatunde Lawal

 

 

La danse de Gèlèdé est l’expression de la mauvaise conscience de l’homme vis-à-vis de la femme, datant du changement de la société

 

Le Gèlèdè, un vecteur de dialogue

Danses, musiques, chants et leurs symboles associés (costumes et masques de bois) sont les formes retenues pour les manifestations du culte. Gèlèdé . Au-delà de la manifestation de la présence des esprits ou des âmes, et de la référence aux liens entre le visible et l’invisible, ils cherchent aussi à transmettre des messages profanes. Les thèmes du Gèlèdé sont illimités et les masques recèlent toujours un double aspect social et religieux, à la fois en tant que prière, critique ou illustration des conceptions et du mode de vie des Yoruba.

À l’occasion de fêtes civiles et familiales, ils peuvent notamment sensibiliser le public aux valeurs humanistes ou incarner des concepts comme le courage, la solidarité, la prévention,  etc.

 

Aujourd’hui

Aujourd’hui, alors que les inégalités de genre persistent, que la mémoire des traditions se fragilise, et que la crise écologique nous pousse à repenser nos liens avec la Terre et le vivant, le Gèlèdè apparaît comme une source d’inspiration précieuse. Il nous invite à réconcilier le visible et l’invisible, à honorer ce qui nourrit, soigne, enseigne, et veille dans l’ombre : le pouvoir des mères.

En redonnant toute sa place au féminin sacré, le culte Gèlèdè propose une vision du monde profondément équilibrée, ancrée dans la réciprocité, la mémoire et le respect. Il nous enseigne que là où la modernité a souvent voulu séparer l’art, le rituel, la vie et le sacré, les cultures africaines ont su les unifier dans un même souffle, celui de la danse sacrée de la vie.

Ainsi, le Gèlèdè n’est pas seulement une tradition africaine : il est un message universel, un appel à reconnaître, célébrer et protéger ce qui, dans chaque être humain, relève de la puissance maternelle, du lien invisible et de la beauté du soin.

 

 

LA PLACE DES FEMMES DANS L’ART

 

« Femme artiste, artiste femme ou artiste tout court ? Pourquoi séparer l’histoire des artistes femmes de l’histoire des artistes en général ? »

Catherine Gonnard et Elisabeth Lebovici.

 

Quelle que soit la discipline, jeune ou ancestrale, les noms des femmes restent cruellement invisibles. L’Histoire a l’habitude de se dispenser des femmes, l’histoire de l’art en fait tout autant. La femme est-elle exclue des arts plastiques ? Des créatrices existent. Elles sont encore peu nombreuses à être connues.

Mystérieuse, maternelle, mystique, pécheresse… la représentation des femmes en art se caractérise par l’ambivalence.   Peu représentées dans les livres d’histoire, les femmes ont toujours occupé des places primordiales dans les structures de pouvoir de leurs pays et dans les luttes pour l’émancipation de leurs peuples. Panafricanistes, féministes ou anticolonialistes, reines ou héroïnes, elles sont nombreuses à défier les clichés encore à l’œuvre sur la « femme africaine ».

Dans les arts, elles ont une place reconnue en littérature et dans les arts du spectacle. Musiciennes, chanteuses, danseuses, les griottes ont un rôle essentiel qui leur a probablement donné accès à la réalisation cinématographique, à la radio et la télévision.

Quand on pense histoire de l’art, les premiers noms qui nous viennent en tête sont probablement : Léonard de Vinci, Raphaël, Michel-Ange, Van Gogh, Rembrandt, Cézanne, Matisse, Renoir, Monet, Picasso, Dalí, Klimt…et encore bien d’autres noms, tous masculins. Il devient alors presque difficile de mentionner plus de deux artistes féminines, quand on peut à l’inverse mentionner leurs homologues masculins par dizaines. Sonia Delaunay a attendu un demi-siècle pour sortir de l'ombre de son époux Robert. Louise Bourgeois avait 96 ans lorsque le Centre Pompidou lui a consacré sa première rétrospective en 2008.

Les artistes féminines ont toujours existé, mais elles n'étaient pas spécialement connues ou ne vivaient pas de leurs œuvres. À l’époque, cela pouvait être mal vu qu’une femme s’attelle à des activités artistiques réservées aux hommes. Cependant, une étude a prouvé que la majorité des artistes paléolithiques étaient des femmes. En effet, les peintures rupestres étaient toujours accompagnées d’une empreinte de main en guise de signature. C’est grâce à ces dernières que les chercheurs ont pu confirmer qu’elles appartenaient à des femmes.

Éternelle obsession des peintres, le nu incarne à la fois la tradition, la rébellion ou l’audace, selon qu’il est traité par Picasso, Manet, Botticelli ou Modigliani. Olympia de Manet fit scandale lors de sa première exposition, au Salon de 1865. Bien qu’inspirée d’œuvres reconnues (la Vénus d'Urbin du Titien, la Maja desnuda de Goya et l'Odalisque à l'esclave d’Ingres), elle fut considérée comme une provocation : la femme peinte en premier plan, nue dans une position lascive et le regard planté dans les yeux du spectateur, fut en effet interprétée comme représentant une prostituée de luxe, aux antipodes de la pudeur des nus traditionnels.

À New York en 1942, Peggy Guggenheim organise une exposition de trente et une femmes, aussitôt traitées de « névrosées surréalistes ».

"L'art est très important pour la femme. Elle a une place importante. Il constitue non seulement un art mais permet de repenser la place des femmes dans le monde.

Il s’agit sans aucun doute d’un combat pour la visibilité et la reconnaissance des femmes artistes.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[1] Pierre Verger. H Drewal et Thomson Drewal. Art and Female Power among Yoruba  In L’Homme, 1985, tome 25 n° 95, pp 185-187L

[2] Pour une reconnaissance africaine. Ed Musée Albert Kahn. 1996. P37 : « Celle-qui-a-maitrisé-le-pouvoir-de-faire-advenir-les-choses » Thomson b1874, : 200 

[3] Claude Assaba. Le pouvoir yoruba. Dimensions sacrales et cognitives. Université René Descartes. Paris V. 1989, p .

[4] Batatunde Lawal. Yoruba. Editions 5 continents ; 2012 , p 58

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